D’après les documents historiques, c’est juste au pied de la chute en aval du barrage qu’on avait aperçu les derniers saumons. Il y a toujours une histoire bizarre non confirmée d’un saumon aperçu après la construction des barrages. Est-il possible que les saumons soient retournés à la rivière pendant une bonne partie du XXesiècle?
Serge Allard m’a dit qu’aussi récemment que dans les années 1990, son groupe avait réussi à obtenir plusieurs milliers de saumoneaux d’une étude de laboratoire qu’ils ont déversés dans la rivière près de Sherbrooke, au Québec. C’est un peu farfelu, mais s’ils avaient réussi à frayer et que leur progéniture était retournée au stade adulte, il est possible que ces saumons aient trouvé un habitat adéquat dans la rivière Saint-Germain, un important tributaire qui se déverse dans la Saint-François en aval des barrages.
J’ai également eu la chance d’interviewer Yvan Gosselin qui a étudié la possibilité d’ensemencer la rivière en 1988. Il m’a raconté une autre histoire d’un plan d’ensemencement téméraire en 1988. À l’époque, Yvan Gosselin était biologiste, mais aussi le dirigeant d’un groupe de Drummondvillois dévoués qui se sont consacrés à rétablir les saumons dans la Saint-François. Frustrés par les obstacles dressés par diverses agences gouvernementales, Yvan Gosselin et sa bande de rêveurs se sont organisés pour mettre la main sur des reproducteurs d’une écloserie à proximité de la rivière Port-Daniel, qui par la suite ont été transportés jusqu’à Drummondville pour être introduits dans des bassins expérimentaux avec la collaboration de Gilles Soucy, un entrepreneur local. Ils ont induit le frai de ces poissons et obtenu plusieurs milliers d’alevins. Puis, devant les caméras et les médias locaux, ainsi qu’un groupe de Drummondvillois curieux, ils ont relâché des tacons juste en aval du barrage de la chute Lord.
« Je poursuivais un rêve, et pas seulement moi, a ajouté Yvan Gosselin. Nous possédions une certaine énergie, à l’époque, alimentions une flamme, qui ne s’est pas encore éteinte à ce jour. »
Serge Allard et Yvan Gosselin espéraient que quelques poissons pourraient remonter jusqu’à la chute. Les rêves peuvent être contagieux, et il me semblait que je rêvais tout éveillé. Je me rapprochais de la rive, espérant presque voir des saumons bondir. Du coin de l’œil, j’ai remarqué quelque chose. Non, pas un saumon, mais quelque chose qui ressemblait à … oui, un panneau! Il s’agissait d’une plaque historique partiellement dissimulée par des arbres et des arbustes. Ce n’était pas un rêve.
Serge Allard m’a rejoint, heureux d’avoir trouvé ce panneau, mais notre bonheur a été éphémère. La plaque avait été érigée en hommage à la construction de deux barrages. On pouvait y lire, en partie, « Tout au long de ce siècle, la rivière a énormément contribué à l’économie de Drummondville. »
Presque au bas de cette inscription, et presque comme une réflexion après-coup, l’historien qui a préparé le texte a ajouté : « Toutefois, au même moment, la rivière a perdu l’un de ses principaux joyaux, le grand nombre de saumons qu’elle abritait a rapidement diminué et a vite complètement disparu. » Ces dernières lignes avaient été inscrites en gros caractères et en gras, comme si le graphiste et l’historien avaient conspiré pour attirer l’attention sur cette perte. Est-il possible que l’auteur fût Yolande ou Serge Allard? Lorsque je lui ai posé la question, il n’a fait que sourire.
En partant, j’ai pensé qu’on pourrait ériger une autre plaque, une plaque avec une photo d’un saumon bondissant. On pourrait y lire : « On ne se rend pas compte de l’importance des choses qu’après les avoir perdues. » Demandez-le simplement à Serge Allard et aux autres membres de la SSSF. Pour eux, la montaison de saumons disparue laisse un vide dans leur cœur, un vide que nul ne saurait combler.
Mais cela ne les empêchera pas d’essayer.