Ouvertes puis fermées

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Prenez le traversier de North Sydney, en Nouvelle-Écosse, jusqu’à Port aux Basques, à Terre-Neuve-et-Labrador, puis empruntez l’autoroute 470, traversant le paysage pittoresque et accidenté du sud-ouest de Terre-Neuve jusqu’à sa toute extrémité, la communauté de Rose Blanche. De là, vous pouvez prendre un traversier côtier jusqu’au port isolé de La Poile (population de 95 âmes), puis faire un autre trajet en bateau de 45  minutes jusqu’au village relocalisé de North Bay.

De là, les gens pêchent soit le dernier tronçon de cinq kilomètres vers l’amont menant au Salmon Hole Lodge ou montent à bord de l’un des véhicules utilitaires du type côte à côte utilisés par les guides qui y travaillent. La rivière La Poile est isolée; il n’y a pas de réception cellulaire, mais selon les dires, le saumon de l’Atlantique y est abondant.

Scott Smith, propriétaire du Salmon Hole Lodge, a des liens avec la côte sud de Terre-Neuve depuis la fin des années 1960, lorsque son père, vétérinaire de Kentville, en Nouvelle-Écosse, a acheté une terre au bord de la rivière La Poile.

En 1983, Scott a hérité de la propriété et l’a transformée en pourvoirie. Il a compté le nombre de jours de pêche et le nombre de saumons attrapés depuis. « Le nombre de prises pour une année divisé par le nombre de jours de pêche donne le nombre de prises par jour/pêcheur », indique Scott. Cette formule pourrait ne pas résister à une analyse scientifique, mais son critère de mesure est demeuré constant au fil des ans. Selon ses données, il y a eu de bonnes années et des mauvaises. En moyenne, les années 2000 à 2015 ont été plus productives que les années 1985 à 1999.

Malheureusement pour Scott, en raison d’une décision prise il y a plus d’une décennie de regrouper 104 bassins hydrographiques abritant du saumon sur la côte sud de Terre-Neuve en une seule « unité désignable », son entreprise risque de devoir fermer ses portes.

Il y a 16 « unités désignables » de saumon sauvage de l’Atlantique au Canada. En 2011, le Comité sur la situation des espèces en péril du Canada (COSEPAC) a évalué chacune d’elles et a déterminé que la population du sud de Terre-Neuve  répondait aux critères justifiant le statut d’espèce menacée.

Les experts ont recommandé au MPO de protéger la population du sud de Terre-Neuve et huit autres populations en vertu de la Loi sur les espèces en péril  (LEP) du Canada. Maintenant, dix années plus tard, le Ministère a averti les gens  qu’il se préparait à prendre une décision. La désignation d’espèce menacée mettrait fin à toutes les pêches et déclencherait un processus de planification du rétablissement dirigé par le MPO.

Cela pourrait vous sembler être une bonne nouvelle, comme une garantie de protection et d’affectation de nouvelles ressources, mais l’expérience et les preuves indiquent qu’il n’est est pas ainsi. Il y a un abîme entre l’objectif et les conséquences réelles d’une inscription en vertu de la LEP. Par exemple, des examens ont révélé  que la protection n’entraîne pas souvent un ralentissement du déclin d’une population ou son rétablissement.

Dans le sud de Terre-Neuve, l’inscription en vertu de la LEP serait particulièrement inappropriée. Le COSEPAC a trouvé que la population avait connu une baisse de 36 %  depuis le début des années 1990, mais l’évaluation s’est fondée principalement sur quatre sites de surveillance, tous situés dans l’est de l’île, y compris ceux des rivières Conne et Little, dans le cœur de la région où se concentrent les installations de l’industrie de la salmoniculture en difficulté de Terre-Neuve.

Les chercheurs du MPO  admettent que les données de ces installations « pourraient ne pas être représentatives de l’ensemble de l’UD [unité désignable] », une affirmation que les pêcheurs et pourvoyeurs comme Scott Smith peuvent prouver. Mais comme le MPO ne dispose pas d’installations de dénombrement à l’ouest de la baie d’Espoir, il ajoute que « la seule façon de déterminer la santé de la population de saumons est de faire le suivi des prises. » Le registre qu’il tient au Salmon Hole Lodge est unique et précieux.

Scott Smith se rend au Salmon Hole Lodge  chaque été pour pêcher, rencontrer ses invités et discuter avec le personnel pour se mettre au diapason. La COVID a tout changé. « L’an dernier, nous n’avons pas ouvert nos portes pour la première fois en plus de 50 ans », ajoute-t-il. Mais cela n’a pas empêché Scott de faire le trajet lui-même, un visiteur de l’intérieur de la bulle de l’Atlantique.

La période allant de la mi-juin à la fin juillet est la meilleure période de pêche sur la rivière La Poile, Scott ne savait donc pas ce qui l’attendait lorsqu’il y est arrivé la dernière semaine d’août. Il a été enchanté de trouver que la rivière abondait en saumons. Il en a attrapé et remis à l’eau sa limite en une seule après-midi de pêche.

« La pêche à la mouche au saumon fait partie de la culture de la côte est, termine-t-il. Ce serait une tragédie de la perdre. »