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In The Field

Rivière Causapscal : Historique d’abondance et d’effondrement du stock de saumons auquel s’ajoute un meurtre

CHARLES CUSSON Jul 30, 2020

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La rivière Causapscal est renommée pour la taille impressionnante de ses saumons, dont celui-ci qui est à franchir la chute de la fosse « Falls » James Balogh

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La rivière Causapscal prend sa source dans les montagnes Chic-Chocs et s’étend sur 61 kilomètres jusqu’aux Fourches, où elle rejoint la rivière Matapédia en Gaspésie au Québec. La « Causap », comme on l’appelle, possède un bon débit. Sa vallée est escarpée et ses eaux offrent annuellement jusqu’à la mi-juillet une excellente pêche sportive au saumon atlantique.

En moyenne, la migration annuelle de saumon dans la rivière se situe entre 500 et 800 saumons de l’atlantique sauvages. La Causapscal a des antécédents de divers niveaux d’abondance, des cas juridiques traitant des droits de pêche qui se sont trouvés devant la Cour suprême du Canada et au moins un meurtre.

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La fosse « Fourches » à l’embouchure de la Causapscal et le tronçon principal de la Matapédia. Site patrimonial de pêche Matamajaw

La rivière se situe dans le territoire ancestral des Mi’kmaqs et le nom Causapscal est une dérivation du mot goôpsiag, qui signifie « fond pierreux ». La pêche sportive a connu ses débuts en 1873, alors que la construction du chemin de fer Canadien Pacifique franchissait la vallée de la rivière Matapédia.

Sir George Stephen, président du Canadien Pacifique à l’époque, aimait ce qu’il voyait et, pour quelques milliers de dollars par année, fit l’acquisition des droits de pêche le long des rivières Matapédia et Causapscal. À la fosse « les fourches », au milieu de la ville moderne de Causapscal, Stephen a construit un grand pavillon et des camps secondaires qui sont finalement devenus le Matamajaw Salmon Club. Les structures existent encore aujourd’hui, servant de musée consacré à l’histoire de la région.

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Résultats d’une session par des pêcheurs sportifs du club Matamajaw. Site patrimonial de pêche Matamajaw
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Remise à l’eau d’un saumon à la fosse « Bateau » par Jim Lawley d’Halifax et son guide de la CGRMP Pascal Lévesque. Charles Cusson/ASF
de la CGRMP Pascal Lévesque. Charles Cusson/ASF

Cependant, les paysages idylliques de la vallée à peine alors à masquer les vives tensions entre les pêcheurs sportifs en provenance d’ailleurs et les habitants de la vallée de la Matapédia. Les braconniers ont sillonné les eaux sans relâche et la légitimité des droits a été mise à l’épreuve dans un procès qui a atteint la Cour suprême du Canada en 1919. Les juges ont statué en faveur des pêcheurs et appuyé par une victoire juridique, les gestionnaires du club ont commencé à embaucher des gens pour agir comme gardiens et surveillant des fosses.

Un jeune homme de la communauté matapédienne de Saint-Alexis de Matapédia Wilfrid Blaquière, fut embauché comme gardien et a entrepris son nouveau rôle avec enthousiasme, déterminé à surprendre les braconniers en flagrant délit. Malheureusement, sa détermination a contribué à sa perte. Le 28 juillet 1923, Blaquière est assassiné dans l’exercice de son métier, meurtre qui généra une onde de choc dans toute la vallée de la Matapédia.

A cette époque, les citoyens sont de plus en plus divisés en deux camps; ceux qui appuyaient la présence du club et les avantages qu’ils ont apportés à la région, et, d’autre part, les gens qui étaient d’avis que la rivière devait être accessible au public.

https://www.asf.ca/assets/images/blaquiere-fr.pdf
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Localisation de la rivière Causapscal sur la carte « Les rivières à saumon de l’Amérique du Nord »
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La fosse « Fourches » et l’église de Causapscal en 1897. Site patrimonial de pêche Matamajaw

Durant les années 1920, les manifestations ont littéralement atterri à la porte de l’église catholique de Causapscal. Il semble que ce soit â cette époque que les braconniers, malgré le système de gardiennage en vigueur, décidèrent d’ameuter une partie de la population. C’est ainsi que les saumons capturés par les braconniers voyaient leur tête déposer sur le perron de l’église de Causapscal dans la nuit du samedi au dimanche ce qui toutefois ne plaisait pas â un certain curé qui ne manquait pas dans son prône dominical de vilipender ceux pour qui un saumon valait plus que l’obéissance.

Pendant ce temps, les hommes de chantier de la Compagnie « Chaleur Bay Mills » se sont emménagé dans la vallée, passant des hivers à bûcher les pentes abruptes et à tirer les arbres vers la rivière pour le flottage printanier. Cette forte coupe a fait des ravages et fut un des facteurs contribuant à une baisse historique de cinquantenaire des captures de saumon et ultimement à la fermeture éventuelle du Matamajaw Salmon Club.

Lorsque les marchés boursiers de New York se sont effondrés en 1929, les gens de l’extérieur ont cessé de séjourner à Causapscal. En 1934, il n’y avait que deux membres en règle du Matamajaw Salmon Club. Puis, en 1941, l’International Paper Company, dirigée par le président M R.J. Cullen, a repris les droits de pêche du Matamajaw Salmon Club et a tout fait pour protéger la ressource, offrir de l’emploi à la population locale et rajeunir le « membership » du club.

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Bilan des prises en provenance de la Causapscal 1941-1952.

Durant la Seconde Guerre mondiale, le Matamajaw Salmon Club employait 14 gardiens et opérait 16 « camps de gardien » le long de la Causapscal en plus des camps situés le long de la Matapédia. De plus en plus de gens des communautés locales ont été embauchés comme guides, cuisiniers ou pour entretenir les installations. À son apogée, 96 personnes étaient employées par le club, International Paper proclamant « qu’aucune compagnie n’a une opération aussi unique que cette combinaison de pêche à la truite et au saumon. Un petit coin du paradis sur terre.” »

Mais au milieu du siècle, un vent du changement se levait. Le Parti libéral du Québec a remporté les élections provinciales de 1960, sous le slogan « Il est temps que ça change ». La Révolution tranquille telle qu’elle est aujourd’hui connue est en cours. La population francophone du Québec a cherché à se tailler une place distincte dans la fédération canadienne et à prendre le contrôle des ressources naturelles et des opportunités de développement économique, dont le saumon sauvage de l’Atlantique.

Au printemps 1971, le gouvernement provincial a acquis les droits détenus par International Paper et la plupart des baux au nom du Matamajaw Salmon Club. C’était une victoire pour certains, mais la rivière atteignait alors de nouveaux creux. L’année précédant la prise de contrôle, en 1970, le club n’a signalé que 35 saumons capturés par les pêcheurs du club.

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Bilan des prises en provenance de la Causapscal 1953 - 1967

Sous la gestion du ministère québécois du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, la Causapscal n’a connu que de faibles montaisons. Avec moins de pêcheurs présents sur la rivière, la pression des braconniers a augmenté. Au milieu des années 80, moins de 100 saumons y retournaient pour s’y reproduire.

La pêche sportive a été entièrement interrompue, et il semblait que le cheptel de saumon de la Causapscal risquait d’être complètement perdu. C’est alors qu’une combinaison de bonne gestion, et sans doute des conditions favorables fournies par dame nature, que la tendance s’inversa.

Il fut décidé de confier la gestion de la rivière aux bureaucrates de Québec et d’impliquer les gens du milieu dans un modèle de cogestion. Ce système s’est finalement propagé à toutes les rivières à saumon du Québec et fait encore aujourd’hui l’envie des pêcheurs et des gestionnaires d’autres juridictions provinciales.

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Camp principal vu de la rue Saint-Jacques circa 1950. Site patrimonial de pêche Matamajaw

À la fin des années 1980, la Corporation de gestion des rivières Matapédia et Patapédia a été formée. Cet organisme à but non lucratif a commencé d’exploiter le pouvoir des intervenants locaux pour résoudre les problèmes qui freinent les populations de saumon dans la région.

Afin de nuire aux braconniers de la Causapscal, une barrière de rétention a été érigée à la fosse du Marais, permettant une surveillance accrue des saumons en place jusqu’au moment de la fraie. En septembre, la barrière fut levée pour que les poissons se déplacent vers l’amont, ce fut un succès. La valeur socio-économique du saumon et son état périlleux furent le sujet d’une initiative de sensibilisation envers les gens de la vallée de la Matapédia. Pour donner suite aux gestes de la CGRMP, certains braconniers ont réalisé les bienfaits de ce mode de gestion devenant des guides qualifiés pendant plusieurs années.

En 1993, le gouvernement du Québec a officiellement délégué la responsabilité de la gestion des rivières Matapédia, Patapédia et Causapscal a la CGRMP et son groupe d’intervenants local qui ont clairement énoncé sa mission: « Assurer la gestion et la conservation de la ressource saumon sur les rivières Matapédia et Patapedia, leurs affluents et tous les autres territoires dans un esprit de conservation et de développement tout en maximisant les avantages économiques sur une base régionale. »

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Fosse Denise du secteur 2 de la rivière Causapscal. Charles Cusson

Mené par un groupe d’intervenant dévoué comme le regretté Victor Tremblay, la CGRMP a entamé une étude afin de déterminer quelle serait la meilleure façon de restaurer la Causapscal à son ancienne gloire.

Avec un budget limité, il fut établi que la protection des saumons, et non l’ensemencement, était la voie à suivre. De quelques dizaines de remontés d’alors aux centaines de grands saumons aujourd’hui, la gestion halieutique de la rivière Causapscal génère annuellement à elle seule des centaines de milliers de dollars pour l’économie locale selon une étude de 2012.

Aujourd’hui, la gestion de la Causapscal demeure une réussite pour la gestion du saumon, espèce qui était aux abords de l’extinction. C’est la preuve que l’engagement des intervenants locaux dans les décisions de gestion et le retour des retombés économique aux communautés peuvent avoir un effet positif sur ce qui se passe sous la surface de l’eau.

Charles Cusson est le représentant de la Fédération du saumon atlantique pour le Québec. On peut le joindre à ccusson@asf.ca